Notes sur de la musique vite fait

Alice M. – Janvier 2018

J'estime n'avoir aucune légitimité pour écrire des critiques d'albums, mais j'aime bien parler de musique tout de même. Dans la vie de tous les jours, je n'ai pas grand monde pour m'écouter si je veux parler de ce que j'aime, et le partage n'est pas toujours aussi facile que les acteurs du web voudraient nous le faire croire. Bref, étant donné que j'ai récemment claqué pas mal d'argent en musique et que ce que j'écoute part de plus en plus dans tous les sens (même s'il y a aussi des trucs accessibles), je vais noter ici deux trois trucs sur des genres ou des pseudo-catégories, en essayant de rester concis et de faire autre chose que de taper sur les « gens sans libre arbitre ». À vrai dire, maintenant que j'ai mes dessins à la con, je peux mieux séparer les propos pépères et mes conflits avec le monde.

Notes techniques rapides: 1) Normalement les lecteurs Bandcamp sont bien fichus : si vous mettez un truc en lecture, les autres se mettent en pause (parfois même à travers différents onglets du navigateur web). 2) On dirait que Chrome crache allègrement sur les règles de césure françaises ; le texte est mieux justifié et donc plus lisible sous Firefox, notamment.

Trucs qui restent accessibles

My journey begins with dissolving in the air

Je me surprends parfois en achetant des trucs qui, sous certains aspects, sont « trop normaux », mais en général je trouve des explications a posteriori.

Le cas de Mili me fait pas mal marrer car j'ai pris cet album sur un demi-coup de tête et il est finalement devenu un des trucs que j'écoute le plus souvent. J'ai même pactisé avec le diable et acheté le second album sur Amazon Music (faute de mieux, et non sans avoir vérifié que cela permettait un téléchargement sans DRM).

De prime abord, on aurait tendance à se dire « putain, encore un truc japonais tout niais et mignon », sauf que plus on écoute leurs morceaux, et plus on se rend compte de… de plein de trucs, en fait : il y a de vrais musiciens pas forcément manchots, ils ont des compos et structures parfois nettement plus complexes quand dans la plupart des trucs niais, ça lorgne souvent sur le jazz (ils se permettent même des pistes instrumentales), et ça inclue aussi pas mal d'éléments électroniques pas trop envahissants. Et surtout : le côté niais – quand il est présent – apparaît plutôt comme une façade, qui ne tient bien souvent même pas pendant tout le morceau. Une sorte de mélancolie étrange traîne un peu partout, et j'ai bien souvent l'impression, en écoutant ces trucs, de voir quelqu'un serrer les dents et sourire toute la journée en attendant de se trouver seul pour laisser transparaître ses véritables émotions. On dirait que ce type de difficultés est abordé implicitement par le groupe, et je trouve que cela rend ce qu'ils font assez touchant, avec pas mal de lectures différentes possibles. J'avais leur « Imagine you can fly; imagine you're alive » dans la tête quand j'ai été plus ou moins forcé de partir seul à l'étranger pendant ma thèse et que j'avais l'impression que j'allais crever.

D'autres fois, je n'ai pas forcément besoin de chercher des raisons tarabiscotées pour expliquer mes choix. Je me suis notamment fait poutrer la figure de manière tout à fait compréhensible par Iamthemorning (malgré leur nom somme toute assez foireux). Le plus grand échec de ma vie à ce jour est de m'être retrouvé nez à nez avec Marjana Semkina par hasard avant un concert et de ne pas avoir osé lui adresser la parole alors que je venais de découvrir qu'elle servait de voix invitée dans un des groupes d'ouverture, tout ça à cause de ma peur de me tromper quand j'essaye de reconnaître les gens. Raaah. ~♥

J'avais un peu galéré au moment de choisir un genre pour les métadonnées de leurs morceaux, et j'ai fini par foutre un truc genre « rock progressif de chambre », car c'est plus ou moins comme ça qu'ils décrivent ce qu'ils font sur leur page Bandcamp, et au fond ça colle bien.

Il m'arrive aussi (quoique encore rarement) de me perdre du côté de l'électro, ou du moins dans des trucs dont le genre contient wave, mais je serais bien incapable d'en parler convenablement ! Comme avec les autres genres, je préfère quand on peut noter une certaine progression à travers les morceaux. S'il y a de la répétitivité, il faut qu'elle ne soit pas employée à l'aveugle et qu'elle serve un but ou débouche sur quelque chose qui en vaille la peine.

Je ne me considère pas comme un gros gros fan d'Ulver, notamment car à force de tester des trucs ils me perdent de temps en temps, mais ce n'est tout de même pas pour rien si Perdition City est, si je me souviens bien, le premier truc que j'ai acheté sur Bandcamp. Les deux premiers morceaux ont chacun une fin vraiment classe. Bon, dans le cas de ce morceau-ci, c'est même plutôt toute la seconde moitié qui est concernée.

Je ne sais pas si on peut considérer des morceaux ins­tru­men­taux comme « accessibles » compte tenu de la pro­pen­sion de cer­taines personnes reloues à tout trouver « chiant », mais je me dois de lâcher deux ou trois mots sur Buckethead. Vous pourrez toujours aller sur sa page Wikipédia, qui est pleine de trucs ahurissants, mais en gros le mec pond des morceaux de guitare à longueur de journée, se balade avec un seau sur la tête et un masque, et je mettrais ma main à couper qu'il est « neuro-atypique » d'une manière ou d'une autre. Le morceau qui suit ouvre un album pondu probablement d'une traite à la mort de sa mère. Malgré l'absence de voix et le faible nombre d'instruments, ce disque est d'une expressivité assez incroyable, et on sent le mec qui rassemble petit à petit ses forces au fil des morceaux pour faire face à la tristesse. Cela peut valoir le coup d'aller écouter des morceaux de ce mec un peu au pif ; il tape dans pas mal d'ambiances et fait rarement de la daube.

Je me surprends parfois à être comme fasciné sans raison apparente par tout ce qui ressemble de près ou de loin à des gens qui ne vont pas bien. Un genre de curiosité bizarre, je suppose. C'est probablement dans ce contexte que j'ai été happé par cet album d'une certaine Emma Ruth Rundle qui, à mes yeux, sortait de nulle part. Elle a l'air d'avoir un peu plus tendance à se démerder elle-même que le poppeux moyen, et fait en parallèle quelques œuvres visuelles cheloues.

En vagabondant un peu, on peut aussi découvrir des projets parallèles de gars qu'on connaît, comme avec Igorrr / Gautier Serre et l'album qu'il a pondu avec une de ses voix favorites. Un truc très posé comparé à ce qu'ils font d'habitude, et que les gens classent quasiment dans le trip-hop (moyennant quelques mélanges chelous mais digestes).

Bon, je ne vais pas non plus m'éterniser sur des trucs peu surprenants, car l'un de mes buts dans la vie (vaut mieux en avoir trop que pas assez) reste tout de même de pousser les gens à laisser entrer dans leur tête le fait qu'il existe des tas de trucs dans notre monde et que rester dans sa zone de confort toute sa vie, c'est con. D'ailleurs, il va falloir vous forcer un peu, hein : je ne vous demande pas nécessairement d'écouter chaque morceau en entier, mais au moins d'endurer un peu le temps d'essayer de vous mettre à ma place. Sinon, j'n'sais pas comment vous comptez échanger avec les humains, hein !

Truc d'avant-garde

You're like nobody here

Cette appellation me fait toujours un peu marrer parce qu'elle semble signifier que ce sont des idées qui finiront par devenir normales alors que, dans à peu près tous les arts et cas, on n'atteint jamais ce point. Mais c'est ça qui rend l'avant-garde intéressante : elle offre des opportunités de toucher du doigt des choses qu'on ne verra potentiellement nulle part ailleurs.

Bien souvent, les expressions qui me viennent à l'esprit avec de tels artistes ressemblent à « ça part dans tous les sens », et les mecs (ou meufs) en question sont parfois qualifiés de savants fous. Tout cela est d'ailleurs assez bien résumé par la pochette sidérante de In Somniphobia de Sigh (elle est normalement dans le lecteur ci-dessous, mais je vous mets un lien vers la version grande).

Quand c'est bien fait et que les morceaux restent cohérents, cependant, on comprend que ces sonorités si particulières viennent bien souvent d'un gros mélange d'influences et de styles – en plus, bien entendu, d'un certain affranchissement de quelques règles implicites. Et puis, bien entendu, certains artistes restent plus « sages » que d'autres.

Ça m'arrache complètement la gueule (ou plutôt : les mains) d'écrire ça vu comme je hais les « artistes » escortés de toute une escadre de mecs en costards qui croient que faire de la musique consiste à participer à trente séances photos par jour, mais : je pourrais presque imaginer Rihanna reprendre ce morceau de öOoOoOoOoOo (groupe lyonnais aussi appelé « chenille » (et qui nique bien la justification de mon paragraphe)). L'album contient des trucs assez farfelus, mais la capacité d'adaptation de cette voix féminine n'a rien d'une blague.

DooOOOooOOOooom

Laughter ceases at the gates

Désolé, private joke destinée presque uniquement à moi-même et consistant à dire « doom » avec une voix de déterré pour ex­pri­mer le sens de ce style.

J'avoue être allé sur Wikipédia pour trouver les mots justes. Bref, le doom utilise des tempos lents et des sons graves, « épais » et « lourds » (ça passe mieux en anglais, tout ça…), le but étant généralement d'exprimer le désespoir et compagnie. Le tout pouvant bien entendu être mitigé par mélange avec d'autres genres, donnant parfois des trucs assez paradoxaux, comme avec Kauan et leur doom qui se teinte au fil des ans de post-rock, un style plutôt connu pour sa légèreté. Mais bon, vu qu'il s'agit de Russes qui traînent en Ukraine et chantent en finlandais, ils ne sont plus à ça près.

L'album Sorni Nai raconte une interprétation un peu aléatoire d'un vrai drame très chelou. Des gars ont été retrouvés morts en montagne, dans un sale état malgré l'absence de signes de lutte. Un mec avait même perdu sa langue…

Plus conforme aux codes du doom bien qu'étiqueté « expérimental », nous avons SubRosa, que j'ai aussi beaucoup consommé cette année. Deux voix féminines, deux violons, et une approche parfois assez particulière qui ne fait qu'amplifier l'impression de désespoir qui se dégage de leurs morceaux.

En ce qui concerne tout d'abord les voix, elles oscillent entre des trucs tout doux, pépères et plutôt justes, pour finalement, sur certaines parties, devenir plus « natures », avec des imperfections ici et là nous renvoyant l'image de quelqu'un qui a lutté pendant des plombes et est au bout du rouleau. Cela surprend un peu au début, mais comme avec beaucoup de choses il convient de s'interroger sur les intentions de l'artiste plutôt que de penser à sa petite personne insignifiante. Dès lors que l'on s'ouvre à certains concepts, il peut y avoir comme un déclic et on est traversé par des formes de beauté dont on avait auparavant refusé d'imaginer l'existence. Ainsi, le côté éraillé du chant au cours de la neuvième minute (gaffe, c'est 8 → 9 et pas 9 → 10 ; c'est sournois) du morceau qui suit a fini par en faire un de mes passages préférés des deux derniers albums. Je suppose que son impact est également amplifié par l'existence des sept minutes précédentes, bien entendu.

Pour ce qui est des violons… Bon, je suis encore moins expert en violon qu'en chant, mais ils sont employés d'une manière nettement moins « azy, hop, truc nyan-nyan pour faire pleur­ni­cher » que dans pas mal de choses. Ils apportent une couche glaçante aux morceaux et ne sont généralement ni trop mis en avant ni trop noyés au mixage.

À part ça, le groupe s'inspire pas mal de romans dystopiques, et c'est notamment à cause d'une interview d'eux que j'ai lu coup sur coup We et Brave New World.

Ce n'est peut-être qu'une conséquence de tout ce que j'ai déjà dit, mais cet album et celui qui le précède sont deux des trucs qui m'ont semblé le plus adapté à une écoute type « dans le noir wèsh yeux fermés sur lit », alors que je ne m'y attendais pas forcément.

Du vieux black de derrière les fagots

A krew w… kolorze bursztynuuu!

Maintenant que j'y pense, cette expression sonne bizarrement, de nos jours, avec tous ces internautes demeurés qui se traitent de « faggots »… Bref. Les gens qui font du black fouinent gé­né­ra­le­ment au fin fond d'eux-mêmes et en ressortent des pensées et des émotions telles quelles, sans filtre. Sachant que ça correspond à ma définition de l'art, je ne pouvais faire l'impasse là-dessus. Peut-être est-ce là encore ma curiosité à la con qui fait que j'adore essayer de comprendre ce qu'il se passe dans la tête de gens potentiellement chelous – ou au contraires semblables à moi, selon les cas. Et il faut dire qu'on trouve un peu de tout, même en se confinant à ce style.

Furia parle principalement « de dépression, de misanthropie et de haine ». Des trucs qui peuvent se terrer en un peu tout le monde et dont la musique grand public passe son temps à nier hypocritement l'existence. En plus, c'est con mais le polonais colle foutrement bien à ce style, je trouve. À noter que le groupe s'autorise (contrairement à certains) quelques changements d'ambiance ici et là. Bien entendu, ce n'est généralement pas pour faire la fête mais pour placer deux trois trucs déchirants, comme le « Nie było mnie tu… jestem… nie będzie… » vers le milieu du morceau que j'ai mis là.

Quand j'ai commencé à m'intéresser au black atmosphérique, on m'a imédiatement orienté vers Drudkh (entre autres). Pour saisir leur délire, en général, il faut imaginer des paysans ukrainiens qui pètent une durit contre un système oppressif ou je ne sais quoi. Les thèmes officiellement abordés sont la nature et l'histoire ukrainienne, ainsi que le folklore et la poésie de ce pays. J'ai d'ailleurs découvert après avoir choisi le morceau que j'ai mis là que ses paroles correspondent à un poème de l'Ukrainienne Lina Kostenko.

Le black atmosphérique est parfois un peu répétitif au sein d'un même morceau, mais ça fait justement partie des étapes possibles de construction d'une atmosphère. Certains y re­cher­che­ront d'ailleurs également un côté hypnotique. On ferme les yeux, on se penche en avant sans trop savoir pourquoi, et on bouge paresseusement la tête en buvant une boucle intrigante en attendant de voir sur quoi elle va déboucher.

Sinon, il y a aussi les grands gamins qui foutent des mots anciens chelous dans leurs titres et s'inspirent de l'heroic fantasy, etc. Ça ne donne d'ailleurs pas toujours (contrairement à ce qu'on pourrait croire) des trucs très pépères. Certains groupes ne laissent pas tant de répit que ça, malgré les gentils synthétiseurs et compagnie.

J'aurais tendance à dire que, dans l'ensemble, plus les styles sont extrêmes et plus on se retrouve avec des gens étonnants et de fortes personnalités. Pas mal de projets de black sont des « projets solos », avec un pauvre gars qui compose et enregistre tout dans son coin (pour le meilleur comme pour le pire). Cela n'exclut pas forcément la présence d'invités, cela dit. Ainsi, pour Exuvia, les sites de référence nous balancent à la figure un « Alexander von Meilenwald: Everything », avec juste deux pauvres invités pour gérer des claviers, et un peu de staff pour le mixage et le côté visuel. Ce qui n'empêche pas cette œuvre de sonner comme si quatre ou cinq musiciens avaient bossé dessus à plein temps. C'est d'ailleurs un concurrent sérieux pour tous les classements à la con pour l'année 2017.

Je ne me suis pas encore suffisamment plongé dans ce groupe / projet, mais il est connu pour être, musicalement parlant, assez flippant (il suffit d'entendre les premières notes de guitare d'Exuvia pour s'en rendre compte). Ici, on a droit à des espèces de chants chamaniques chelous style « Indiens d'Amérique » disséminés ici et là dans l'album. Ils s'intègrent d'ailleurs étrangement bien à l'ensemble. Les morceaux sont généralement longs, avec des changements d'ambiance toujours bien sentis, et on a vraiment l'impression de participer à des rituels ésotériques au milieu de mecs défoncés déguisés en loups. Les paroles en rajoutent une couche, avec des allusions parfois un tantinet obscures à plusieurs mythologies (principalement des trucs grecs, mais avec des machins nordiques qui poppent sur un morceau).

Blut aus Nord

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent

Voilà que je me retrouve à faire une section juste sur un groupe… Au risque de faire un peu fanboy, je voulais pouvoir isoler deux trois trucs. Bref.

Blut aus Nord est un cas à part parmi les cas à part. Les mecs, ils sont là depuis genre 1995, mais ils n'ont jamais voulu faire de concerts (« Notre musique est une expérience solitaire. ») et c'est la croix et la banière pour avoir ne serait-ce qu'une idée de la tronche qu'a la tête pensante du groupe. Car oui, il y a un gars central, un Normand qui se fait appeler Vindsval et dont je serais d'ailleurs incapable de vous donner le véritable patronyme. Certains de ses musiciens sont encore plus mystérieux, et je crois que l'existence de certains reste même à démontrer.

De manière générale, j'aime beaucoup leur approche artistique : le résultat est plus mis en avant que les musiciens (Vindsval se décrivant comme un « vecteur » entre l'inspiration et ce qui en résulte), et je trouve certains bouts d'interviews (ouais, car il y en a quelques unes, quand même) assez classes. On a par exemple « Le succès n'est pas un problème ; la manière de l'atteindre peut en être un », ou, en réponse à une question du style « Créez-vous parfois de la musique en ayant à l'esprit quelqu'un d'autre que vous-mêmes ou en vous demandant com­ment elle pourrait être perçue ? », un simple et expéditif « Ja­mais ».

Dans le genre « prendre les émotions telles quelles », ce groupe atteint encore un autre niveau. Certains albums sont extrêmement différents selon les inspirations et envies du moment, et il n'est pas rare que les mélodies aient l'air d'avoir été composées par des extraterrestres venus d'une autre dimension. Des guitares s'entremêlent là-dessus et cohabitent avec un chant qui, sur certains albums, me rappelle le bruit que font les fouines en mettant la misère à la laine de verre du grenier de mes parents. C'est souvent glauque, dérangeant, assez malsain, voire op­pres­sant, mais ça ne fait qu'attiser ma curiosité, comme souvent.

Vindsval se laisse influencer par un peu tout et nawak, et il semblerait qu'on aura probablement bientôt droit à une collaboration avec le rappeur expérimental Dälek. Chose qui me fait beaucoup marrer, car c'est un des seuls rappeurs dont j'ai jusqu'ici pris le temps d'acheter un album. À noter que le groupe a aussi une série d'albums (les « Memoria Vetusta ») plus ac­ces­sibles – une sorte de soupape pour leurs idées trop normales, on dirait. Le troisième volume contient des espèces de chœurs en chant clair ainsi que des références assez explicites à la poésie. Les noms de Baudelaire et Verlaine font d'ailleurs leur apparition dans le livret de l'album (que je viens de ressortir pour l'occasion).

Trucs présentés comme brutaux

Who dares disturb my blissful sleep?

Je dis « présentés comme », car plus ça va et plus je trouve qu'en général ça donne juste des machins groovy… Il y a plusieurs années, un gars m'avait définit le groove comme le fait que « ça donne envie de faire ça » (à cet instant, le mec avait mis ses bras dans une position chelou et avait commencé à se dandiner comme un gars bourré qui essayerait de faire tourner un cerceau super lourd autour de son bide tout en faisant gaffe à ne pas renverser sa pinte). J'avais trouvé cette explication pitoyable, mais depuis je n'ai guère trouvé mieux.

La brutalité est d'autant plus trompeuse qu'on trouve vite des thèmes et des artistes intéressants. L'un des membres principaux de Benighted bosse en hôpital psychiatrique et fait faire de la musique aux patients pour leur redonner de la patate. À ma connaissance, la quasi-totalité de leurs albums ont un lien avec les maladies mentales et le mal-être de certains malades, et leurs interviews sont ma foi assez intéressantes. L'album qui, à l'heure où j'écris ceci, est le plus récent, raconte l'histoire fictive d'un gars qui est traumatisé par la mort de son animal de compagnie (entre autres) et qui commence à se greffer des bouts de bestioles pour fusionner avec elles, ou quelque chose de ce style, et apparemment ça serait vaguement inspiré d'un patient réel.

J'aime bien mentionner Nile, aussi. Ils se tapent des délires sur l'Égypte ancienne, utilisent parfois ici et là des vieux instruments chelous, ont des bouts de morceaux acoustiques semblant véritablement sortir tout droit d'une autre époque… Et puis, je ne sais pas si ça vient de leur manière d'accorder leurs instruments ou si c'est un truc savant découlant des mélodies, mais ce qu'ils jouent – si on arrive un peu à passer outre l'éventuel martellement des percussions, etc. – a vraiment un côté égyptien rigolo.

Trucs ambiants

⛰️ 🌳🌳🌳 🍃

Fut un temps, je me foutais gentiment de ceux qui téléchargeaient des pistes sonores d'une heure ou plus avec des vieux bruits de ruisseaux, etc. Puis, au gré de mes pérégrinations sur Bandcamp, je suis tombé sur le label Cryo Chamber, spécialisé dans ce que les gars qui y bossent (et d'autres, bien entendu) appellent le dark ambient. C'est un peu le même principe que pour ces trucs avec des ruisseaux et tout : des gars trimballent du matos d'enregistrement un peu n'importe où, puis passent trente plombes en studio à empiler des couches ou que sais-je encore. La principale différence, c'est qu'ils sont plutôt inspirés par les ambiances post-apocalyptiques, l'espace, Lovecraft, les ruines et rites antiques, voire la préhistoire. Alors certes, ça fait relativiser sur ce qu'on appelle « musique », mais ce n'est pas une raison pour ne pas tenter l'aventure.

Si je devais reprocher une chose à ce style, c'est qu'il y a tellement de petits détails qu'il faut mettre super fort et se niquer les oreilles pour apprécier toute l'étendue de ce qu'un artiste nous propose (si possible, bien entendu, en évitant d'utiliser des vieux MP3 tout compressés). Les mecs de ce label sont d'ailleurs de grosses brutes qui balancent des fichiers énormes avec une fréquence dépassant largement ce que notre oreille est censée pouvoir gérer. C'est rigolo.

Roulage par terre

So lost in darkness, in and out of selfishness

La première fois que j'ai écouté du mathcore, ça m'a fait un peu bizarre.

J'aime bien l'expression « péter une durit », et elle colle assez bien à certains passages voire morceaux. Des accords sortis d'on ne sait où, du chant qui fait vite comprendre pourquoi le nom du genre finit par « core », le tout posé sur des rythmes d'une pré­ci­sion chirurgicale mais auxquels le profane – comme moi, ou presque – est plus ou moins condamné à ne jamais comprendre quoi que ce soit.

Je disais donc : cela m'a fait bizarre. Certes, mais comme avec beaucoup de choses, j'ai senti que ça valait la peine de gratter, alors je me suis passé ce Calculating Infinity trois fois, cinq fois, dix fois, et ce qui au début m'apparaissait comme une blague me semble aujourd'hui magnifique, à sa manière.

Quand l'aspect « math » laisse un peu plus de place au « core », on peut avoir des structure plus posée, et moins de folie pour plus d'émotions humaines brutes. J'ai longtemps galéré pour apprécier Converge, car je croyais que c'était limite festif comme The Dillinger Escape Plan. Aujourd'hui, je réalise que leur musique peut, à bien des instants, me faire éprouver, à travers ces cris déchirants, une toute nouvelle forme de tristesse.

Globalement, ça continue tout de même à me donner envie de me rouler par terre en agitant les bras sans raison, façon « fuck logic ». Sauf que je me calme un peu et reste ébahi quand le poids de l'humanité me retombe dessus, comme aux deux tiers du morceaux qui suit, sur ces poignants « as a single teardrop fell » qui semblent sortir de la gorge de l'artiste non en passant par sa bouche mais en perforant ses tissus.

Wintherr

Er empfängt den Himmel mit offenen Armen

Je ponds ici carrément une section à partir du pseudonyme d'un type. Il faut dire qu'un coup, j'écoutais du Darkspace en me disant « C'est marrant : ça sonne un peu comme du Paysage d'Hiver, en fait… », et j'ai ensuite réalisé que la tête pensante du groupe était justement le mec dont Paysage d'Hiver est le projet solo.

Chez Darkspace, à peu près tout est austère, même les titres d'albums et de morceaux. Ça me fait toujours marrer quand je vois, par exemple, « Vidéo : Darkspace joue “3.16” en concert ». Si certaines personnes présentent l'espace comme un truc cool et joli qu'on peut explorer en faisant mumuse, ce groupe, lui, adopte plutôt l'approche de l'isolation, de la terreur et du vide à perte de vue. C'est parfois assez oppressant, éreintant même, mais selon les jours ça peut être ce dont j'ai envie musicalement parlant. Mention spéciale à la dernière minute du (long) morceau que je vous mets là. Les voix viennent apparemment du film 2010: The Year We Make Contact faisant suite à l'adaptation de L'Odyssée de l'espace, et produisent un effet assez glaçant, avec ce « I'm going in! » qui clôt l'album sans trop que l'on sache ce qu'il advient de l'individu concerné.

Quant à Paysage d'Hiver, bah c'est Paysage d'Hiver, quoi. La production est bien crade, car ça évoque la neige et la tempête et, comme le souligne l'artiste, cela permet à l'imagination de travailler davantage que quand les instruments sonnent de manière super claire.

Noise et compagnie

KFZRSHSHSHHHZRSHFRZbuiiiIIIIIIIteuteuteu…

Le noise expérimental est fascinant à bien des égards, même si certains de ces égards – si j'ose dire – ne plairont pas forcément à tout le monde. Par exemple, selon le contexte, il peut m'aider à me calmer ou à me reposer (les psys recommandent d'ailleurs souvent d'écouter du « bruit blanc »), et j'ai même fait une sieste ou deux sur Goloka. Parfois, cet effet est même plus important quand on met le son plus fort. Le principe, si tant est qu'il y en ait un, est que le cerveau se tape des délires à chercher une structure absolument partout, même dans le bordel le plus total, parait-il.

Petite précision sur la collaboration Gensho en elle-même : l'album est composé de deux disques, chacun pondu par un artiste, et ça fait des trucs chelous quand on écoute les deux en même temps.

Je vais bazarder deux trois mots sur le drone dans cette section. Je suppose qu'on me pardonnera cet écart, étant donné que les deux morceaux suggérés proviennent de collaborations qui impliquaient toutes les deux le groupe japonais Boris, donc bon, ce ne sont quand même pas des milieux trop orthogonaux.

Bien que pour le Français lambda, « drone » désigne des ma­chins volants à la con qu'on offre aux gosses pour qu'ils nous foutent la paix ou qu'on utilise pour flinguer discrètement des opposants politiques, c'est aussi un mot anglais qui veut dire des trucs complètement hors sujet. Ainsi, un drone peut être un son continu plutôt grave, et ça se dérive même en verbe. On pourra ainsi dire que des générateurs électriques en train de faire « Bvroooooon… » sont « droning ». Et certains ont récupéré ce concept en musique, par exemple dans le milieu du métal.

Il paraît que ça fait ressentir des trucs sympas quand on est drogué, mais vu que je ne suis pas du genre à prendre des produits bizarres, je fais sans. Ça ne m'empêche pas, si je suis dans le bon état d'esprit (reste à savoir duquel il s'agit), d'apprécier cela. À noter que ce n'est parfois pas si loin des trucs ambiants dont j'ai déjà parlé. D'ailleurs, pas mal de morceaux ambiants revendiquent des drones.


Les paroles citées à chaque début de section ne sont pas de moi, mais de l'un des artistes de la section concernée (sauf dans un cas, où l'artiste en question reprenait un texte de Baudelaire).

Ce document était également l'occasion pour moi de voir où en étaient le HTML et le CSS niveau typographie. Pas de surprise : ils sont toujours relativement à la ramasse pour justifier du texte et faire des césures. On nous vend fièrement une propriété hyphens avec une valeur auto, mais certains navigateurs (genre Chrome) semblent ne pas encore avoir de dictionnaire pour les césures françaises… Et quand le texte est mal justifié, on se retrouve vite avec de gros trous moches à l'intérieur des guillemets.

LaTeX, même dans les cas extrêmes de justification, s'en sort en étirant moins les espaces des guillemets que les autres. En HTML, soit je fous des espaces fines insécables qui ne s'étirent pas du tout et apparaissent souvent bien trop fines pour cet usage, soit je laisse mes gros trous. J'ai aussi testé des solutions tordues genre remplacer ces espaces par des spans vides avec une classe dont le :after a content: "." et visibility: hidden (stackoverflow.com/a/19508093), mais 1) il faut alors faire le deuil de l'étirement et 2) en cas de copier-coller, on se retrouve avec plus d'espace du tout. Au bout du compte, il vaudrait quasiment mieux mettre deux espaces fines à la suite, haha.

Bref, j'ai fini par repérer moi-même quelques cas vraiment merdiques et suggérer des points de césure avec ­ en essayant de respecter les règles françaises. Pas envie de faire comme ces journalistes qui renvoient à la ligne des vieilles syllabes à moitié muettes à la con alors que c'est interdit. Mais bordel, j'ai beau aimer la typographie, faire ça à la main à notre époque est un peu rageant. En plus, il suffit que le mec en face change la taille de la police via son navigateur et mes suggestions de points de césures risquent de devenir inutiles. Sinon, il y a des outils en JavaScript pour faire les césures, mais je n'ai pas envie de me retrouver avec une page web de cent kilooctets juste à cause de ça, quoi…